Combien vaut l'argent biblique ? – Une étude sur l'économie des temps anciens
Tellement de Mitsvot dépendent de l'argent qu'il est presque impossible de comprendre pleinement la Torah sans connaître l'histoire de l'argent biblique.
Ici, nous allons effleurer la surface de cette facette méconnue de la sagesse de la Torah, qui reste en grande partie inexplorée.
L'argent à l'époque biblique n'était pas seulement un moyen d'échange ou une mesure de richesse ; il était intimement lié au tissu social, juridique et spirituel de la communauté. Le Tanakh et le Talmud détaillent diverses formes de monnaie, allant des pièces courantes utilisées dans les transactions quotidiennes jusqu'aux grandes sommes employées dans les affaires économiques d'envergure et les korbanot (sacrifices).
Comme nous l’avons vu dans le webinaire sur la Kabbale de l’Argent, les possessions d’une personne (y compris l’argent liquide) font partie de son âme. L’argent devient alors un moyen d’élargir son âme.
En approfondissant, nous découvrirons aussi comment les économies bibliques fonctionnaient, y compris les rôles du commerce, de la fiscalité, des dettes et même de la charité.
Le pouvoir de la nouvelle monnaie
À l’époque du Tanakh, le concept d’argent allait au-delà des simples pièces pour englober des poids et des mesures, reflétant un système de valeur plus intrinsèque basé sur le poids réel des métaux précieux. Le mot matbei’a, qui désigne une pièce frappée, est remarquablement absent du Tanakh, soulignant ainsi des pratiques économiques différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui.
À la place, on rencontre des termes comme guérah et kessitah, qui désignent des poids spécifiques de lingots d’argent, et même le shékel, sans doute la forme de monnaie biblique la plus connue, servait à l’origine de mesure de poids. Ce système est illustré de manière vivante dans les Écritures, comme lors des dons des Nessi’im pour le Mishkan, où des objets comme des vases en argent et des cuillères en or sont pesés en shékalim (Bamidbar 7:13-14).
L’histoire d’Avshalom, décrite dans Shmuel I, met également en évidence l’usage du poids comme forme de monnaie. Avshalom, ayant pris un vœu de naziréat, pesait chaque année ses cheveux coupés, avec un poids significatif de deux cents shékalim, indiquant non seulement la masse physique, mais aussi la valeur monétaire potentielle de ses cheveux (II Shmuel 14:26). Ce lien entre shékel en tant que poids et le mot anglais moderne scales suggère une histoire de la mesure qui influence encore aujourd’hui le langage.
Dans Otzrot ‘Haïm, on trouve également une section où Rabbi ‘Haïm Vital explore les secrets du Mishkal, Minyan et Middah (formes de mesure de poids).
Le rôle du shékel était essentiel dans de nombreuses mitsvot, notamment la rédemption du fils premier-né (Pidyon HaBen), qui coûtait cinq shékalim, ou l’imposition d’une amende de trente shékalim pour les blessures causées par son taureau. Chaque année, une taxe d’un demi-shékel était aussi collectée pour les sacrifices communautaires, soulignant le rôle omniprésent du shékel dans la vie quotidienne et spirituelle.
Malgré sa valeur établie, le shékel a connu un changement important durant ou après l’époque de Ye’hezkel, lorsque les ‘Hakhamim décidèrent d’en augmenter la valeur d’un cinquième. Cet ajustement visait à aligner le shékel sur la monnaie de Tsur, une ville réputée pour la stabilité et la reconnaissance de ses unités monétaires. Cette décision peut sembler controversée, car elle semble modifier un standard monétaire profondément enraciné dans la loi et la pratique de la Torah.
Cependant, l’autorité des ‘Hakhamim pour modifier la valeur du shékel est ancrée dans la Torah elle-même. Les sages en avaient le droit, comme on le trouve dans la Guemara (Bekhorot 50a). Là, les sages discutent de cela en citant un verset de Vayikra (27:12), qui utilise le futur, suggérant la possibilité de changements futurs dans la valeur du shékel. Rachi explique que l’expression « ce sera » indique une autorisation divine pour modifier le shékel, si le besoin s’en faisait sentir.
Cette flexibilité dans la valeur du shékel démontre non seulement la nature dynamique de la loi biblique, mais aussi les stratégies d’adaptation des anciens dirigeants pour maintenir la stabilité économique et la pertinence en des temps changeants. Il est fascinant de constater que le système économique de l’époque n’était ni le capitalisme sauvage d’aujourd’hui, ni une dictature communiste, mais un commerce libre établi avec une certaine intervention significative du gouvernement.
Quoi qu’il en soit, de telles mesures garantissaient que le système économique biblique restait fonctionnel et porteur de sens à travers les différentes époques, reflétant une compréhension profonde de l’économie qui va bien au-delà d’une simple curiosité historique.
La monnaie biblique – Rocher de stabilité
Pour comprendre pourquoi le shékel a été ajusté pour refléter la monnaie de Tsur, il est utile d’explorer l’histoire numismatique de cette ancienne ville. Tsur, ou Tyr, commença à frapper ses propres pièces vers 400 av. J.-C., et les dirigeants de la ville prirent une décision cruciale : maintenir une stabilité dans le poids et la teneur en argent de leurs pièces.
Cette stabilité s’avéra bénéfique, car le shékel de Tsur conserva sa valeur pendant environ cinq cents ans. La valeur constante du shékel de Tsur en fit un choix privilégié dans le commerce international, comme en témoignent les découvertes de ces pièces dans des trésors antiques disséminés d’Eretz Yisrael jusqu’en Syrie, et même jusqu’à Téhéran.
L’acceptation généralisée et la stabilité durable du shékel de Tsur en firent une monnaie influente en Eretz Yisrael, même lorsque les pièces commencèrent à afficher l’image de Malkarat, la divinité protectrice de la ville. Cette pratique se poursuivit jusqu’à un changement significatif survenu environ neuf ans avant la destruction du Second Temple, lorsque l’empereur Néron prit le contrôle des opérations de frappe monétaire de Tyr. Sous son autorité, les pièces continuèrent d’être produites avec le même poids, mais la teneur en argent fut réduite, sapant ainsi la constance antérieure.
L’adaptation du shékel pour correspondre au standard de Tsur reflète des principes économiques plus larges reconnus par les autorités juives au fil du temps. Le Gaon de Rogatchov, dans son analyse (Shekalim 1:3), établit un parallèle entre les mesures de volume et la valeur monétaire, suggérant que de la même manière que les mesures comme le kezayit (le volume d’une olive) sont ajustées en fonction de la taille des olives des générations suivantes, la valeur des pièces devrait elle aussi évoluer en fonction de la monnaie prédominante de l’époque.
Ce principe a légitimé le remplacement de l’ancien shékel de la Torah par le shékel plus contemporain et influent de Tsur.
Cette approche adaptative de l’évaluation monétaire a également été adoptée par divers Poskim (décisionnaires de la loi juive) dans d’autres contextes. Par exemple, le Chokhmat Adam (103:1) explique que, à son époque, la valeur de cinq Reichsthaler était utilisée pour le Pidyon HaBen (rachat du fils premier-né), bien que ce montant dépassât la valeur de cinq shékalim de Tsur, reflétant ainsi les conditions économiques contemporaines et les devises en vigueur.
De même, l’Arukh HaShoul’han Ha’atid anticipe que la contribution d’un demi-shékel exigée pour les sacrifices du Temple à l’époque messianique sera fondée sur la pièce la plus importante en circulation à ce moment-là.
À travers ces discussions et adaptations, on voit comment la loi juive interagit dynamiquement avec les réalités économiques changeantes, garantissant que les obligations religieuses et les valeurs qui les sous-tendent restent pertinentes et applicables, indépendamment des époques ou des contextes géographiques. Cette approche met non seulement en évidence la sagesse pratique des systèmes juridiques anciens, mais souligne également l’adaptabilité des lois religieuses pour répondre aux besoins évolutifs de la communauté qu’elles servent.
Le shékel à l’époque moderne
Quelle est la valeur réelle du shékel talmudique ?
Cette question intrigue les chercheurs depuis des siècles, et la réponse varie selon les contextes historiques et régionaux. Les Gueonim, ainsi que des autorités rabbiniques renommées comme le Rif et le Rambam, offrent un aperçu fascinant de la mesure du shékel.
Selon ces sources autorisées, un quart de shékel équivaut au « dinar d’or des Arabes », une pièce importante frappée à travers le monde arabe à partir de l’an 696 de l’ère commune, et ce pendant environ six cents ans. Cette pièce avait un poids constant d’environ 4,25 grammes, ce qui place un shékel complet à environ 17 grammes.
En développant davantage, le Rif, dans son commentaire sur Kiddouchin 12, et le Rambam, dans son commentaire sur la Michna Bekhorot 8:7, font référence à une méthode traditionnelle de mesure du shékel en utilisant des grains d’orge. Le Rambam précise qu’une perouta, soit 1/768e d’un shékel, équivaut à une demi-graine d’orge. Cette méthode, bien qu’agricole, offre une approche concrète pour comprendre les anciens poids et mesures.
Cependant, l’application de cette méthode par l’orge n’était pas uniforme dans toutes les régions. En Orient, où le dinar d’or était bien connu et largement diffusé, la mesure par l’orge était rarement utilisée. En revanche, en Europe, où le dinar d’or était moins courant, des poskim comme Rav Mena’hem de Mirasberg se basaient sur les grains d’orge pour déterminer le poids du shékel.
(On voit donc qu’il n’y avait pas tant de consensus même sur l’argent biblique, ce qui donne du poids au dicton « Deux Juifs, trois avis »)
L’approche minutieuse de Rav Mena’hem consistait à peser l’équivalent de la valeur du shékel en utilisant des grains d’orge à différentes périodes et avec différents types d’orge, ce qui donnait un poids d’environ 15,3 à 15,9 grammes pour le shékel. Ce chiffre est légèrement inférieur aux 17 grammes indiqués par le Rambam, ce qui suggère une variation dans la taille des grains d’orge entre l’Europe et les régions familières aux Gueonim et au Rambam.
La différence entre ces mesures illustre les défis liés au maintien d’un standard cohérent à travers des paysages géographiques et culturels divers (et dans la halakha en général).
Cette souplesse dans la mesure du shékel selon les normes locales, qu’il s’agisse des grains d’orge ou du dinar d’or reconnu, reflète un principe plus large de la loi juive : l’intégration de la tradition avec l’applicabilité pratique, garantissant que les observances religieuses demeurent pertinentes et significatives pour chaque génération.
L’opinion de Rachi
Selon Rachi, le poids du shékel est inférieur aux 17 grammes mentionnés par le Rambam. Dans son commentaire sur Chémot 21:32, Rachi explique que le shékel pèse quatre zehouvim, ce qui équivaut à une demi-once selon les standards de poids précis de Cologne. Dans ce système, sachant que l’ukniah (ancienne unité de poids) est d’environ 29,2 grammes, le poids du shékel s’élève à environ 14,6 grammes — une différence notable par rapport à l’évaluation du Rambam.
Dans une correspondance remarquable souvent jointe à son commentaire sur le ‘Houmach, le Ramban raconte avoir découvert une ancienne pièce d’argent lors de son séjour en Eretz Yisrael. Cette pièce, portant l’inscription « shékel » en ancien script hébraïque, fut trouvée parmi les possessions des anciens d’Akko. Après l’avoir pesée chez les changeurs locaux, le Ramban confirma que son poids équivalait à dix pièces d’argent autrichiennes, ce qui correspond à la mesure d’une demi-once décrite auparavant par Rachi.
En dépit de cette preuve historique appuyant un shékel plus léger, le Choul’han Aroukh, le code de loi juive par excellence, choisit de suivre les vues du Rif et du Rambam, en préconisant un shékel d’environ 17 grammes.
Cette décision a intrigué les chercheurs et soulevé diverses difficultés d’interprétation.
Plusieurs explications ont été proposées quant aux raisons pour lesquelles le Choul’han Aroukh pourrait privilégier le shékel plus lourd malgré les preuves en faveur d’un plus léger. Une théorie suggère que le Choul’han Aroukh considérait le shékel plus lourd comme une estimation plus prudente, garantissant que toutes les obligations monétaires prescrites par la Torah soient remplies sans risque de sous-paiement. Une autre possibilité est que les sources soutenant un shékel plus lourd aient été jugées plus fiables ou plus répandues parmi les communautés pour lesquelles le Choul’han Aroukh fut principalement rédigé.
En outre, le shékel plus lourd pourrait refléter une tendance à la standardisation dans la loi juive, visant à l’uniformité dans la pratique et l’observance religieuses. En s’alignant sur un poids plus important, le Choul’han Aroukh pouvait garantir une plus grande cohérence entre les diverses communautés juives.
En somme, le débat sur le poids du shékel illustre l’interaction dynamique entre la preuve historique, l’interprétation textuelle et la standardisation juridique dans la pensée juive. Cela montre que la loi juive n’est pas figée, mais qu’elle répond avec réflexion aux nouvelles informations et aux contextes changeants, s’efforçant de préserver l’intégrité et la précision de la pratique religieuse.
Pouvoir d’achat
Une perouta, la plus petite pièce de l’époque talmudique, illustre les différences considérables entre les économies antiques et modernes. Avec une valeur équivalente à seulement un quarantième de gramme d’argent, la perouta vaudrait, au prix actuel de l’argent (environ 0,90 USD par gramme), environ 2,25 USD.
Pourtant, malgré cette somme apparemment dérisoire, une perouta possédait un pouvoir d’achat significatif à l’époque des ‘Hazal. Par exemple, elle permettait d’acheter un étrog ou une grenade, ou encore environ 12,5 figues sèches, ce qui témoigne d’une échelle de valeurs économiques très différente de celle d’aujourd’hui.
Le contexte économique de la perouta devient encore plus fascinant lorsqu’on considère le coût de la vie quotidien et annuel de l’époque. Le Talmud mentionne que les dépenses annuelles pour la nourriture et les vêtements tournaient autour de 200 zouz, soit 4 800 peroutot, ce qui correspond à environ 30 cents par jour — à peine plus de 100 dollars par an.
Cela contraste fortement avec le niveau de vie et les dépenses contemporains. L’histoire de Hillel l’Ancien nous en apprend davantage sur la valeur de l’argent à l’époque ; gagnant 96 peroutot par jour, il en dépensait la moitié pour entrer au Beit Midrash, et vivait du reste avec sa famille. Encore plus frappant : un mouton ou une chèvre pour un sacrifice coûtait seulement 32 peroutot.
Cette disparité a conduit à une question posée au Rivach concernant la somme d’argent spécifiée dans une ketouba (contrat de mariage), qui promet 200 mané ou 6 400 peroutot — une somme apparemment modeste selon les standards actuels. Le Rivach répondit en soulignant les conditions socio-économiques à l’époque des ‘Hazal, décrivant une population vivant dans une austérité extrême.
La plupart des gens, nota-t-il, vivaient dans une pauvreté extrême, très éloignée de l’aisance relative de certaines communautés juives comme celles de Majorque. Les sages fixèrent donc le montant de la ketouba selon les conditions des individus les plus pauvres, afin que personne ne se sente marginalisé ou humilié par sa situation financière.
À l’époque moderne, la ketouba conserve son importance, bien que ses implications financières aient évolué. Aujourd’hui, elle inclut généralement non seulement la somme traditionnelle issue de l’époque talmudique, mais aussi des montants additionnels pouvant atteindre plusieurs milliers de dollars, reflétant à la fois la continuité et l’adaptation de cette ancienne coutume aux réalités contemporaines et à l’inflation.
De plus, le récit humoristique de ‘Had Gadya, un chant araméen chanté à la fin du Séder de Pessa’h, où un petit chevreau est acheté pour deux zouz (soit huit peroutot), illustre avec légèreté la valeur nominale de l’argent biblique dans les termes talmudiques. Selon les standards actuels, le prix du chevreau s’élèverait à peine à 18 cents, une somme qui souligne de manière ludique les changements dramatiques des systèmes de valeur économique entre l’époque talmudique et aujourd’hui.
Ainsi, bien que la perouta et les autres formes de monnaie biblique paraissent aujourd’hui insignifiantes en termes de valeur monétaire, elles offrent des aperçus inestimables sur la vie économique, la structure sociale des anciennes communautés juives, ainsi que sur l’esprit des Tsaddikim.






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