Être un Talmid ‘Hakham et le point d’inflexion dans la loi juive – Quand la stupidité devient méchanceté
Il n’est pas exagéré de dire que la Kabbale et le judaïsme fonctionnent selon des paradoxes. Celui qui se considère lui-même comme un Talmid ‘Hakham, un Mekoubal ou une personne humble ne l’est, par définition, pas.
Il y a bien sûr des exceptions.
Comme lorsque Moché Rabbénou écrit dans la Torah qu’il n’y a jamais eu personne d’aussi humble que lui. Ou lorsque les sages du Talmud énumèrent leurs propres mérites. Mais ici, nous parlons de personnes qui ont extirpé jusqu’à la dernière trace d’arrogance et de prétention, et qui vivent entièrement LéChem Chamaïm. Pouvoir atteindre un tel effacement de soi, au point de ne pas se soucier d’être insulté ou loué, sans rechercher aucun titre, est, paradoxalement, le sommet même d’un tel titre.
Fait surprenant : la Torah n’exige pas d’être un Talmid ‘Hakham, mais Rabbi Naḥman de Breslev, lui, le fait. Contrairement à ce que certains Breslevers que j’ai rencontrés pensent, Rabbi Naḥman dit bien dans Likouté Moharan qu’il faut être un Lamdan, être sage, et connaître toute la Torah. Il souhaite même que les gens soient « comme lui » à tous ces égards. Rav Berland bénit les gens afin qu’ils puissent étudier plus de huit heures de Guemara par jour, car on doit d’abord atteindre ce niveau avant de pouvoir « danser huit heures par jour ».
Il existe de nombreuses définitions de ce qu’est réellement un « Talmid ‘Hakham » ou même un « Mekoubal ».
Tandis que certains disent qu’un Talmid ‘Hakham est quelqu’un qui étudie la Torah toute la journée, j’ai entendu dire qu’il s’agit plutôt de quelqu’un totalement engagé envers la Torah. Par définition, le mot même de « ‘Hakham » fait allusion à la Séphira de Ḥokhmah (la sagesse divine spirituelle), ce qui donne du poids à l’idée qu’il s’agit de quelqu’un en quête de cette sagesse. Et, comme le dit le Zohar, il n’y a pas de « sagesse » autre que la « sagesse de la Kabbale ».
Qu’est-ce qui fait un Talmid ‘Hakham selon la Kabbale
La sagesse de la Kabbale, comme je l’ai déjà souvent écrit, est l’un des Tikounim les plus puissants pour l’âme, car elle peut grandement élargir notre capacité à comprendre la Torah. Ce n’est pas pour rien que Rabbi Chimon Bar Yo’haï (Rachbi) est makpid contre ceux qui n’étudient que le Pchat (Talmud, Moussar et Halakha).
Malheureusement, ce sont ces personnes-là qui sont les plus susceptibles de rejeter l’idée même des Tsaddikim en général, ou d’un Tsaddik Yessod ‘Olam, car cela semble contredire plusieurs principes fondamentaux de la Torah. Bien sûr, on n’a pas « besoin d’un intermédiaire pour atteindre Hachem » et bien sûr on est « jugé selon ses mérites ». Bien sûr que « personne ne nous libérera du Jugement » et bien sûr que « nous sommes tous importants et saints ».
Pourtant, un vrai Tsaddik peut nous inspirer à atteindre des niveaux supérieurs, irradier la ‘Hokhmah (qui provient de sa ‘Hayah), donner de vrais conseils, et oui, comme l’écrit Rabbi ‘Haïm Vital dans le Sha’ar HaGilgoulim, il peut aussi retirer de nombreux méchants du Guéhinom après sa mort. Un autre enseignement important est que le Ari zal lui a dit d’imaginer son visage devant lui en tout temps (imaginez cela), comme dans la méditation du Shiviti, où l’on garde le Nom de Dieu יהוה en permanence à l’esprit.
Quoi qu’il en soit, avoir un Tsaddik en qui on peut avoir confiance est un excellent moyen d’être enraciné tout en étant élevé. Cela change la vie de réaliser que l’accomplissement de toute la Torah n’est pas une fin en soi, mais la porte d’entrée vers la sainteté et la proximité d’Hachem.
(Techniquement, c’est une fin en soi car nous recevons une récompense même pour l’action seule, mais on ne devrait guère être fier de se contenter des bases sans chercher à aller plus haut et à vivre une véritable expérience de Hachem.)
Cela nous amène à l’exact opposé d’une perspective de ‘Hokhmah, qui consiste à voir les événements comme séparés et sans lien. La ‘Hokhmah, d’ailleurs, est la source de la lumière de l’homme, comme nous l’apprenons dans Kohelet 8:1 :
חָכְמַת אָדָם תָּאִיר פָּנָיו
La sagesse de l’homme illumine son visage.
Sans elle, on peut en venir à haïr ceux qui étudient la Kabbale, comme l’ont fait les contemporains du Ram’hal (Rav Moché ‘Haïm Luzzatto), et ne pas avoir la véritable crainte de Dieu, comme on l’apprend dans Téhilim 111:10 :
רֵאשִׁית חָכְמָה יִרְאַת יְהוָה
Le début de la sagesse, c’est la crainte d’Hachem.
(Certainement, il faut avoir la crainte d’Hachem pour mériter la sagesse comme le dit le verset, mais l’inverse est également vrai : la sagesse mène à la crainte d’Hachem — on peut interpréter les deux sens, et il existe de nombreuses sources pour cela.)
Une personne ayant une vraie Yirat Chamaïm (crainte du Ciel) et la ‘Hokhmah :
Ne se met pas vite en colère
Ne juge pas rapidement
Accepte la réalité telle qu’elle est
Prend conscience de sa propre petitesse
Apprécie les autres et recherche le bien en eux
Voit les choses comme liées et comme un message d’Hachem
Est humble
Est joyeux
Réfléchit longuement avant de prononcer un mot négatif sur quiconque
A l’esprit ouvert
Il convient aussi de noter que l’essence de la Rouaḥ HaKodesh est la Dévekout (adhésion à Hachem) et le maintien d’un haut niveau de Yirat Chamaïm et de ‘Hokhmah.
La liste est longue. Certes, il y a des niveaux infinis en toute chose, mais à partir d’ici, on peut comprendre exactement ce qu’il faut attendre à l’inverse, de quelqu’un qui n’a ni Yirat Chamaïm ni ‘Hokhmah.
On pourrait croire que ces personnes seraient excusées pour ce qu’elles font — après tout, elles manquent de toutes ces qualités merveilleuses. Hachem ne va certainement pas « juger » quelqu’un qui ne sait tout simplement pas, n’est-ce pas ?
Mais il n’en est rien.
Il existe des moments où la stupidité devient de la méchanceté. Et, comme le dit le principe juridique : nul ne peut se soustraire à la loi sous prétexte d’ignorance.
J’ai un petit ‘Hidoush sur la Massékhet Sanhédrin
On trouve dans le tout dernier chapitre, rempli de Haggadot, dans Sanhédrin 109b, trois minhaguim très intéressants venant du système de « justice » de Sodome.
Le premier : lorsqu’une personne blessait son prochain et était traduite en justice, le « juge » condamnait la victime à payer pour le « traitement par saignée ». À l’époque, on utilisait des sangsues pour aspirer du sang, ce qui était censé stimuler la création de nouveau sang. N’est-ce pas incroyable ? Puisque la victime a perdu du sang (même si c’est à cause d’une agression), elle en aurait malgré tout retiré un bénéfice… et se retrouve donc redevable !
Le deuxième minhag concerne quelqu’un qui possède un âne. Un criminel vient et coupe un morceau de l’oreille de l’âne. Et voilà que le tribunal décrète que le criminel doit garder l’animal jusqu’à ce que l’oreille repousse, pour ensuite le rendre à son propriétaire d’origine. Bien entendu, cela n’arrive jamais, mais c’était cela, la « justice » à Sodome.
Le troisième est probablement le plus infâme. Pour être honnête, il m’a fallu trois lectures pour être sûr d’avoir bien compris ce que je lisais. Il s’agit d’une femme mariée et enceinte qui est agressée par quelqu’un et fait une fausse couche. Tenez-vous bien : le tribunal, dans sa « grandeur d’âme », décrète que l’agresseur doit garder la femme et la « rendre » à son mari dans le même état de grossesse qu’auparavant…
Il est clair que Sodome était un endroit horrible où vivre — on le saurait même sans ces récits. Alors, pourquoi les sages nous les racontent-ils ? Évidemment, les ‘Hakhamim ne rapportent jamais des histoires en vain. Au-delà des significations kabbalistiques que chacune d’entre elles contient, ces anecdotes sont riches en enseignements de Moussar très puissants.
En réalité, en méditant sur ces histoires, une autre question plus troublante m’est venue à l’esprit : techniquement parlant, où est le problème avec ces jugements ?
Sérieusement.
Les dizaines de milliers de halakhot sont données à nous, les Juifs, tandis que les autres nations ont les 7 mitsvot des Bnei Noah, ainsi que les lois qu’elles décident d’instaurer. Tant qu’elles ont un tribunal fonctionnel qui administre la justice, elles sont libres de juger comme elles l’entendent, du moment que cela reste cohérent. Par exemple, elles peuvent, contrairement au bon sens, décider que tous les voleurs soient condamnés à mort, que la nourriture non-cachère soit la norme (et que ceux qui y contreviennent soient sanctionnés), ou que les Juifs ne soient pas autorisés à visiter leur territoire.
Toutes ces lois sont parfaitement légales (bien que totalement idiotes), selon la Torah.
Mais elles sont libres de les décréter.
Comme le suggère le titre, je pense que les sages veulent établir les limites, ou plutôt, les points d’inflexion où la stupidité devient de la méchanceté.
Il y a des limites à ce qui peut être considéré comme de la « justice », même dans les tribunaux non-juifs. Un tribunal qui livre une femme à son agresseur ne fait rien d’autre que promouvoir la dégénérescence et le vol de femmes. Même des choses soi-disant plus « douces », comme le fait qu’un agresseur reçoive la propriété qu’il a endommagée (comme avec l’âne), ce n’est rien d’autre que du vol institutionnalisé.
Avec ce genre de pratiques, et suffisamment de temps, la société s’effondre inévitablement.
Le Midrash enseigne que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et provoqué le décret contre Sodome fut lorsqu’une petite fille donna la tsédaka à un pauvre. Elle fut condamnée à être enduite de miel et suspendue à l’extérieur des murailles de la ville, afin d’être piquée par des abeilles jusqu’à la mort.
Nous avons donc trois exemples principaux d’absurdité provenant de Sodome, qui reflètent trois domaines très délicats de la justice qu’il convient de préserver en tout temps :
- 
Les relations conjugales (la femme ayant perdu son bébé)
 - 
Les droits de propriété (l’homme ayant perdu son âne)
 - 
Les droits civils et de santé (l’homme frappé et condamné à payer)
 
Hachem semble dire : « Ne me mettez pas à l’épreuve dans ces trois domaines. »
Vous pouvez choisir d’établir toutes sortes de lois ridicules — interdire de manger avec des fourchettes, obliger tout le monde à s’habiller en violet — mais si vous ne voulez pas que votre petite métropole se transforme en un tas de cendres fumantes, ne touchez pas à ces trois piliers fondamentaux.
Ce qui est ironique, c’est que beaucoup d’entre nous rejetteraient le comportement de Sodome comme étant simplement les délires absurdes de barbares analphabètes. Mais en réalité, on voit exactement les mêmes choses aujourd’hui. Il n’est même pas nécessaire d’être un Talmid ‘Hakham pour constater que le monde va très mal.
C’est à nous de cultiver une conscience dans la Kédoucha (sainteté), et de comprendre que le véritable chemin vers la paix et les bénédictions, dans ce monde comme dans le monde futur, se trouve entièrement dans la Torah, à la fois dans le Niglé (le révélé) et dans le Nistar (le caché).
Cette histoire du Talmud a tout de même une fin heureuse et un peu drôle, lorsque Éliézer, le serviteur d’Avraham Avinou, se rend à Sodome. Quelqu’un pense pouvoir gagner un peu d’argent sur son dos et le frappe à la tête. Éliézer l’emmène au tribunal.
Quand le juge décrète qu’Éliézer doit payer, car il a reçu un traitement de saignée, Éliézer prend son bâton et frappe le juge à son tour.
Quand on lui demande : « Mais pourquoi as-tu fait ça ?! », Éliézer répond :
« Veuillez payer ma facture, je vous prie. »
Puissions-nous mériter des jours où le comportement d’Éliézer devienne la norme.



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