La merveilleuse et mystérieuse Tsadéket, Serah bat Asher – Le secret des 5 rédemptions dans l’histoire juive
Serah bat Asher est l’un des rares personnages de tout le Tanakh à avoir mérité d’entrer vivant dans le Gan Eden (Jardin d’Éden).
Cela à lui seul en dit long sur le niveau qu’elle a atteint et sur son importance. D’autres exemples de cet exploit prodigieux incluent Ḥanokh, Éliyahou HaNavi, Yonah ben Amitaï (celui qui fut avalé par le grand poisson) et, étonnamment, Batya, la fille de Pharaon. Ce sont des individus qui ont gravi les échelons spirituels au point que leur matérialité ne les alourdissait plus.
Et, bien sûr, l’une de ces figures est Serah bat (fille de) Asher.
Parmi les nombreux personnages énigmatiques relatés dans les Écritures, Serah est connue comme la femme qui annonça en chantant à Yaakov Avinou que Yossef était encore en vie. Ce faisant, elle raviva l’esprit de Yaakov, qui la bénit du don de la vie éternelle.
Il est probable qu’elle ait reçu d’autres bénédictions au-delà de la longévité, car survivre aux âges ne suffit pas à garantir l’entrée dans le Gan Eden. Il faut atteindre un niveau très élevé de Tsidkout (droiture spirituelle).
Selon l’Abarbanel (s’appuyant sur le livre des Rois) et le Midrash, elle serait la femme d’Avél à qui Yoav (le général du roi David) s’est adressé, ce qui ferait d’elle une femme âgée d’au moins 684 ans.
Et pourtant, même dans la Pessikta deRav Kahana, on rencontre sa présence bien plus tard, après la destruction du Second Temple, ses enseignements demeurant puissants, comme nous le verrons plus loin.
Alors, quelles leçons Serah peut-elle nous transmettre, et comment sa longue existence peut-elle nous inspirer ?
Le rôle de Serah bat Asher dans l’histoire juive
Contrairement à ce que l’on pense communément, le rôle de Serah bat Asher dans l’histoire juive dépasse largement les perceptions initiales. En réalité, une discussion parmi les commentateurs tourne autour de la question de savoir si Serah ou Yoḥéved (la mère de Moché) doit être considérée comme la 70e âme ayant accompagné Yaakov en Égypte.
Le nom de Serah bat Asher apparaît pour la première fois dans le recensement des enfants de Yaakov qui descendent en Égypte (Béréchit 46:17) :
« Les enfants d’Asher : Yimna, Yishva, Yishvi, Beria, et Serah bat Asher, leur sœur. Les enfants de Beria : Ḥéver et Malkiel. »
Elle est mentionnée à nouveau lorsque les enfants d’Israël sont comptés pour savoir combien ont survécu à la plaie de Shittim (Bamidbar 26:46) :
« Le nom de la fille d’Asher était Serah. »
De là, il semble clair que Serah a vécu pendant toute la durée de l’exil en Égypte, soit plusieurs siècles.
Comme le dit la Baraita de Seder Olam Rabba (chapitre 9) :
« Serah bat Asher était parmi ceux qui sont entrés en Égypte et parmi ceux qui en sont sortis. Elle faisait partie de ceux qui sont entrés en Égypte, comme il est dit : “Et Serah, leur sœur.” Et elle faisait partie de ceux qui sont entrés en Terre d’Israël, comme il est dit : “Le nom de la fille d’Asher était Serah.” »
De même, le Midrash (Batei Midrashot 2, Midrash Echet Ḥayil) dit :
« “Elle ouvre la bouche avec sagesse” (Michlei 31:26), c’est Serah bat Asher, qui n’a jamais goûté le goût de la mort. »
D’autres exploits de Serah bat Asher
À propos des personnes qui ne sont jamais mortes, le Midrash HaGadol (Béréchit 46:25) affirme :
« Serah bat Asher [en fait partie] car elle dit à Yaakov : “Yossef est vivant.” Yaakov lui dit : “Cette bouche qui m’a annoncé qu’il est vivant ne goûtera jamais le goût de la mort.” »
Pourquoi ce Midrash la décrit-il comme sage ?
Comme mentionné dans l’article de la semaine dernière, les frères sont venus vers elle pour qu’elle annonce à Yaakov que Yossef était toujours vivant sans lui causer un choc mortel. Elle lui révéla la nouvelle en douceur, soit en suggérant la nouvelle sous forme d’exclamation surprise pendant sa prière (« Yossef serait-il vivant ?! »), soit en chantant les mots “Yossef est vivant” sous forme de mélodie.
Il est intéressant de noter que d’autres Midrashim (comme Massékhet Kalla Rabbati 3:23) la décrivent non pas comme n’ayant jamais goûté la mort, mais comme étant entrée vivante dans le Gan Éden. Certains considèrent que ces deux notions reviennent au même, car lorsque Ḥazal parlent d’une personne “vivant éternellement”, cela ne signifie pas nécessairement sous une forme terrestre classique.
Par exemple, le Zohar consacre de nombreuses discussions à l’endroit exact où se trouve Éliyahou HaNavi et à ses interactions avec les gens au fil des siècles.
Personnellement, je rejette cette approche, car il est très clair d’après les Kitvé HaAri et d’autres sources que Éliyahou HaNavi est monté avec son corps physique et peut revenir aussi dans un corps physique pour certaines missions.
Cela est aussi connu du Rosh (Rabbenou Asher ben Yéḥiel), célèbre codificateur, qui est revenu dans un corps physique pour étudier avec son ḥavrouta.
Comme le documente la Guémara (Sotah 13a), Moché ne savait pas où se trouvaient les restes de Yossef. Ce n’est que Serah bat Asher qui lui révéla que les Égyptiens les avaient enfermés dans un cercueil de métal, qu’ils avaient ensuite jeté dans le Nil. Grâce à elle, Moché put les retrouver et les élever.
Une mémoire persistante jusqu’à l’époque médiévale
De manière intrigante, les Juifs perses d’Ispahan croyaient que Serah bat Asher vivait encore parmi eux jusqu’au XIIe siècle, lorsqu’elle aurait péri dans un incendie de leur synagogue.
Ce lien émouvant les poussa à nommer la synagogue en son honneur, écho à l’impact durable de son héritage.
Les secrets kabbalistiques de Serah bat Asher
Les enseignements du Zohar 3:167 révèlent que Serah bat Asher est destinée à devenir une figure de premier plan dans les chambres des femmes du Olam HaBa — le Monde à Venir.
Son rôle y consistera à enseigner la sagesse de la Torah aux femmes justes ayant mérité une récompense éternelle.
Cet honneur spirituel exceptionnel qui lui est attribué est également évoqué dans la littérature midrashique, notamment dans le Midrash Gan Éden et Midrash Guehinom.
Parmi les contemplations mystiques transmises par le Arizal avant de dormir se trouve la récitation d’un verset particulier, répété trois fois dans son ordre régulier puis inversé :
« V’Sheim Bat Asher Serach / Serach Asher Bat V’Sheim »
(« Le nom de la fille d’Asher est Serah »).
Ce verset renferme l’un des noms sacrés d’Hachem, et est considéré comme une segoula puissante contre le mauvais œil.
Il est supposé que sa récitation aide à élever l’âme pendant le sommeil, tout en invoquant le mérite de Serah bat Asher.
Les 5 rédemptions
De manière remarquable, le Zohar révèle que les cinq lettres doubles ם ן ץ ף ך renferment l’essence cachée des cinq rédemptions.
Ces lettres correspondent aux 5 niveaux de Guévourot (ou Dinim) — des rigueurs et jugements présents dans les mondes physiques et spirituels — car ce sont les seules lettres de l’alphabet hébraïque qui possèdent une double forme (forme simple et forme finale).
La lettre פ / ף est associée à la délivrance de l’esclavage d’Égypte.
Le père de Serah, le tsadik Asher, lui confia le secret de la rédemption, exprimé dans les mots “Pakod Pakadti” (Je me suis souvenu, je me souviendrai), une double déclaration de souvenir et de délivrance du peuple juif, telle qu’expliquée par le Ramḥal dans Maamar HaGuéoula.
Cette connaissance cachée fut transmise de génération en génération : d’Avraham à Yitsḥak, Yaakov, Yossef et ses frères, jusqu’à Serah, ce qui témoigne implicitement de sa grandeur spirituelle extraordinaire.
Le Yalkout Shimoni (Béréchit 12:64) rapporte comment, grâce à sa longévité, Serah bat Asher joua un rôle clé dans la rédemption d’Égypte :
> Rabbi Eliezer dit : « Cinq lettres furent doublées, et toutes sont une expression de la rédemption :
Kaf, kaf : par laquelle Avraham fut délivré d’Our Kasdim, comme il est dit : “Lech Lecha (Va-t’en pour toi)” ;
Mem, mem : par laquelle Yitsḥak fut délivré des Plichtim, comme il est dit : “Pars de chez nous car tu es devenu beaucoup trop riche pour nous (mimménou méod)” ;
Noun, noun : par laquelle Yaakov fut délivré d’Ésav, comme il est dit : “Sauve-moi, je t’en prie (hatsiléni nah)” ;
Pei, pei : par laquelle Israël fut délivré d’Égypte, comme il est dit : “Je me suis souvenu, je me souviendrai (Pakod Pakadti)” ;
Tsadi, tsadi : par laquelle le Saint Béni Soit-Il délivrera Israël à la fin du quatrième royaume, comme il est dit (Zékharya 6:12) : “[Voici] un homme, Tsemaḥ est son nom, et de sa place il germera (yitsmaḥ)”.*
> Avraham transmit ces signes à Yitsḥak, Yitsḥak à Yaakov, Yaakov à Yossef, et Yossef à ses frères, comme il leur dit : “Quand D.ieu vous délivrera…” (Béréchit 50:24). Asher ben Yaakov transmit le secret de la rédemption à Serah bat Asher, sa fille.”
Lorsque Moché et Aharon se présentèrent aux anciens d’Israël et accomplirent les signes devant eux, les anciens allèrent voir Serah bat Asher et lui dirent :
« Un homme est venu, il a fait tel et tel signe devant nous. »
Elle leur dit : « Ces signes ne sont pas déterminants. »
Ils dirent : « Mais n’a-t-il pas dit ‘Pakod Pakadti’ ? »
Elle répondit :
« C’est lui ! C’est lui qui vient délivrer Israël, car ainsi j’ai entendu de mon père : Pei, Pei. »
Immédiatement, “Et le peuple eut foi…” (Chémot 4:31).
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En plus de cela, le Yalkout Shimoni (Dévarim 34:965) rapporte qu’elle joua un rôle essentiel dans l’accomplissement du serment de rapporter les ossements de Yossef en Eretz Israël, condition indispensable pour pouvoir sortir d’Égypte :
> “Il l’enterra [Moché] dans la vallée” (Dévarim 34:6). Pourquoi Moché mérita-t-il que le Saint Béni Soit-Il s’occupe lui-même de son enterrement ? Parce qu’au moment où Israël était occupé à prendre les butins, lui erra dans la ville pendant trois jours et trois nuits pour retrouver le cercueil de Yossef, sans succès.
> Très fatigué, il rencontra Serah bat Asher. Elle lui dit :
« Maître Moché, pourquoi es-tu si épuisé ? »
Il lui raconta tout. Elle lui dit :
« Viens avec moi », et elle l’emmena au fleuve Nil.
Elle lui dit :
« À cet endroit, ils ont fait un cercueil en plomb de 500 kikars, l’ont scellé, et l’ont jeté dans le fleuve. Car les magiciens avaient dit à Pharaon :
“Tu veux que ce peuple ne sorte jamais de ton pouvoir ? Arrange-toi pour qu’ils ne trouvent jamais les ossements de Yossef, car il leur a fait jurer.” »
> Immédiatement, Moché se tint au bord du fleuve et jeta une plaque d’or gravée avec les mots “Alei Shor” dessus.
Sauveuse d'une ville
Après avoir été incluse dans le recensement de la paracha Pinḥas, Serah bat Asher disparaît de l’histoire pendant des centaines d’années, pour ne réapparaître que lors d’une rébellion survenue durant le règne de David HaMelekh (le roi David) :
> « Un homme pervers arriva là, Sheva ben Biḥri de Binyamin était son nom. Il sonna du shofar et dit : ‘Nous n’avons point de part avec David, ni d’héritage avec le fils de Yishaï. Que chaque homme d’Israël retourne à sa tente…’
Les hommes de Yoav, les Urim et Tumim, et tous les guerriers sortirent… à la poursuite de Sheva ben Biḥri… Ils arrivèrent et l’assiégèrent à Avela…
Une femme sage cria depuis la ville… et dit : ‘Je suis parmi les pacifiques et fidèles en Israël. Cherchez-vous à détruire une grande ville d’Israël… ?’
Yoav répondit : ‘Ce n’est pas ainsi. Mais… Sheva ben Biḥri s’est révolté contre le roi David. Livrez-le seulement, et je quitterai la ville…’
La femme s’adressa à tout le peuple avec sa sagesse, et ils coupèrent la tête de Sheva ben Biḥri et la jetèrent à Yoav… »
Le Midrash (Midrash Michlei 31) identifie cette femme âgée comme étant Serah bat Asher :
> « ‘Elle ouvre la bouche avec sagesse, et la Torah de la bonté est sur sa langue.’
C’était la femme qui parla à Yoav et sauva la ville par sa sagesse — c’était Serah bat Asher. »
Quelle était sa sagesse ?
Une question évidente se pose : en quoi était-ce sage de proposer de livrer le coupable pour sauver toute la ville ? Cela ne semble-t-il pas évident ?
La Tossefta (Téroumot 7) explique que le peuple était préoccupé par la halakha qui stipule que, dans certains cas, il est interdit de livrer un individu même si cela met tous les autres en danger :
> « Elle leur dit : ‘Puisqu’il sera tué de toute façon, et que vous aussi serez tués, livrez-le. S’il pouvait s’échapper, par exemple s’il était à l’intérieur et vous à l’extérieur, et que vous étiez en danger mais pas lui, nous ne sacrifierions pas une vie pour en sauver d’autres. Mais maintenant qu’il sera tué avec vous, puisque les murailles sont détruites et qu’il n’y a aucun moyen de fuite, il vaut mieux qu’il meure seul et que vous soyez épargnés.’ »
> Rabbi Shimon dit : « Voici ce qu’elle leur dit : Celui qui se révolte contre la royauté davidique est passible de la peine de mort. »
Comme mentionné dans un article précédent, cette discussion halakhique s’est révélée pertinente dans de nombreuses situations historiques, notamment durant la Shoah, lorsque les nazis exigeaient des quotas de Juifs à déporter. Et cette réflexion halakhique trouve ses racines chez Serah bat Asher.
Le Malbim explique la logique du débat : lorsque Serah affirma que la ville était fidèle à David, Yoav répliqua que le simple fait d’héberger un rebelle (Sheva ben Biḥri) était en soi un acte de rébellion.
Selon cette lecture, sa sagesse consista à convaincre son peuple que l’argument de Yoav était justifié.
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Dernière apparition de Serah bat Asher dans Ḥazal
La dernière mention de Serah bat Asher dans les enseignements de Ḥazal se produit plus de mille ans plus tard, lorsqu’elle réapparut pour témoigner d’un événement historique :
> « Rabbi Yoḥanan était assis et enseignait que les eaux de la mer des Joncs (Yam Souf) formaient un mur pour Israël.
Rabbi Yoḥanan enseignait : Comment étaient les eaux ? Comme un treillis tressé.
Serah bat Asher regarda depuis l’extérieur et dit : ‘J’étais là-bas, et elles étaient comme le verre d’une lampe brillante.’ »
Le Zayit Ra'anan sur le Yalkout Shimoni écrit que Serah bat Asher regarda depuis le Gan Eden pour transmettre cette information à Rabbi Yoḥanan, ce qui est pour le moins intrigant.
Pourquoi était-ce si crucial pour elle de corriger la compréhension de Rabbi Yoḥanan concernant cet épisode ?
C’était essentiel, car si les cloisons d’eau avaient été comme un treillis tressé, alors les tribus ne se seraient pas vues en traversant chacune leur tunnel respectif.
Avec la sagesse des siècles, Serah bat Asher estima nécessaire de souligner que les murs étaient comme du verre brillant.
Même séparées physiquement, les tribus restaient unies, car elles se voyaient les unes les autres pendant la traversée.
Mais alors, comment expliquer que Rabbi Yoḥanan ait eu apparemment une vision erronée ?
Il semble que cela cache un enseignement plus profond, encore à dévoiler…
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Remarques finales
On pourrait se demander pourquoi si peu d’éléments sont révélés ouvertement au sujet de Serah bat Asher.
Cependant, dans le domaine de la Kabbale, il est bien compris que les véritables héros opèrent souvent dans l’ombre, loin des projecteurs.
Ils accomplissent leur mission sacrée à l’abri des regards du monde, protégés des forces négatives qui pourraient les viser.
Comme l’enseignait Rabbi Shimon bar Yoḥaï :
> « Il n’y a de bénédiction que dans ce qui est caché aux yeux » (Ta’anit 8:2)
Parfois, ces héros sont même méconnus ou incompris.
L’histoire de Serah nous rappelle avec force que, peu importe comment les autres nous perçoivent, nos actions peuvent être d’une portée immense.
Même les actes de bonté les plus simples peuvent apporter des récompenses qui dépassent l’imagination.
Bien que le nom de Serah bat Asher n’apparaisse que deux fois dans le Ḥoumach, les Sages de Ḥazal lui attribuent des rôles clés dans des événements fondamentaux de l’histoire du peuple juif.
En vérité, ces deux versets confirment sa présence, et contiennent en filigrane des allusions à sa grandeur spirituelle exceptionnelle.




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