La surprenante controverse du calendrier juif par Rav Saadia Gaon – Comprendre le comptage du temps

 


La surprenante controverse du calendrier juif par Rav Saadia Gaon – Comprendre le comptage du temps

Les discussions autour de la controverse du calendrier juif sont fascinantes et complexes, montrant à quel point nos sages étaient en avance sur leur temps.
Ce post ne traitera pas tant de la Kabbale, mais c’est un sujet néanmoins très intéressant, car il révèle les implications profondes des discussions des sages.

Imaginez ceci :

Un moment décisif de cette histoire survint en 921-922 de notre ère, lorsqu’un différend important éclata entre les communautés juives d’Israël et de Babylonie au sujet du calcul du calendrier. Ce désaccord mena ces communautés, et plus tard d'autres au Proche-Orient, à observer Pessa'h et Roch Hachana à des dates différentes en 922.

Ce différend fut longtemps considéré par les chercheurs modernes comme le dernier grand désaccord de ce genre au sein du judaïsme orthodoxe, la victoire du camp babylonien menant à la finalisation du calendrier juif rabbinique. Mais la controverse du calendrier était loin d’être terminée.

Des recherches récentes ont remis en question cette vision, apportant de nouvelles interprétations de la controverse et de ses répercussions à long terme sur la standardisation et la fixation du calendrier juif à l’époque médiévale.

Introduction au calendrier hébraïque

Le calendrier hébraïque, tel qu’il est utilisé aujourd’hui, est un calendrier luni-solaire, déterminant les dates des fêtes juives et autres rituels. Il était à l’origine fondé sur l’observation physique de la lune du mois suivant et sur les événements agricoles en Israël antique. Entre 70 et 1178 de notre ère, ces méthodes empiriques furent progressivement remplacées par des règles mathématiques (selon Wikipédia).

Le calendrier suit désormais un schéma fixe, ajusté selon l’intervalle du molad (approximation mathématique du temps entre deux nouvelles lunes) et d’autres règles, avec des mois intercalaires ajoutés 7 années sur 19 selon le cycle métonique. L’année hébraïque actuelle est comptée selon le système de l’Anno Mundi, qui tente de calculer le nombre d’années depuis la Création du monde.

Un autre aspect intrigant de l’évolution du calendrier juif est le système alternatif appelé Iggul de Rav Nahshon Gaon, qui coexistait avec le calendrier rabbinique normatif jusqu’à la fin de la période médiévale, voire au-delà. Ce système supposait que le calendrier juif se répétait tous les 247 ans, permettant de réutiliser indéfiniment un calendrier établi pour cette période.

Malgré son caractère non standard, ce cycle de 247 ans jouit d’une popularité considérable grâce à sa commodité, et plus de 200 sources concernant ce cycle provenant de différentes parties du monde juif ont été découvertes. Cette recherche met en lumière la production et l’usage de ces cycles, leur impact sur la controverse du calendrier, et les attitudes des érudits et dirigeants rabbiniques à leur égard (source ici).

Maintenant, soyons honnêtes, je ne suis pas sûr de ces 200 sources car je ne les ai pas consultées moi-même, mais mon objectif ici est simplement de faire connaître ces idées, car elles nous concernent de manière très réelle. Non seulement pour connaître les dates des fêtes, mais… comptons-nous même correctement l’Histoire ?

L’évolution du calendrier juif : Une perspective historique

Dans les annales de l’histoire juive, l’évolution du calendrier juif constitue un chapitre important, notamment en ce qui concerne la transition des observations visuelles de la lune à un système fixe et calculé. Ce changement fut rendu nécessaire par l’intensification des persécutions en Eretz Israël. Nous savons tous que les Samaritains perturbaient les observations en allumant des feux de signal pour faire croire qu’ils avaient vu la nouvelle lune, ce qui compliquait la proclamation de Roch ‘Hodech par les sages juifs.

Les ‘Hazal ont conçu un système calendaire auto-suffisant, destiné à durer jusqu’à l’ère messianique. Rav Haï Gaon, un érudit éminent, rapporte que Hillel HaSheni (Hillel le Second) joua un rôle central dans cette transformation au IVe siècle de notre ère (4149/359). Ce changement majeur dans la mesure du temps juif coïncida avec une période troublée, marquée par l’adoption du christianisme par Constantin le Grand et la conclusion du Talmud de Jérusalem par Rav Manna et Rav Yossi.

Cependant, il est important de noter que bien que Hillel II ait posé les règles fondamentales, le calendrier tel que nous le connaissons aujourd’hui ne fut pleinement établi qu’au XIe siècle. Cette forme finale vit le jour à la suite d’une controverse importante entre Rav Ben Meïr et Rav Saadia Gaon.

Et c’est là le sujet de notre article.

Résoudre la controverse du calendrier

De l’unité à la désunion

Rav Ben Meïr était un rosh yeshiva éminent en Eretz Israël, descendant de Rabban Gamliel et Rabbi Yehouda HaNassi. À l’origine, ses efforts visaient à unir Eretz Israël et Bavel contre les Karaïtes. Toutefois, pendant la controverse calendaire, deux factions existaient en Babylonie : la yeshiva de Pumpedita dirigée par Rav Mevasser Gaon, et le groupe affilié au Reish Galuta, R’ David ben Zakai.

La controverse portait sur Roch Hachana de l’année 4684/923. Selon la Guemara (Roch Hachana 20b), si le molad (nouvelle lune) a lieu après midi, Roch ‘Hodech doit être reporté au lendemain.

Les calculs montraient que le molad de Roch Hachana 4684 aurait lieu peu après midi un Chabbat, ce qui aurait normalement repoussé Roch Hachana au lundi. Cependant, Rav Ben Meïr, se référant à une tradition, affirma que le molad pouvait survenir jusqu’à 642 halakim (environ 35 minutes) après midi sans qu’il faille retarder Roch ‘Hodech. Il considérait donc que Roch Hachana devait rester un Chabbat.

Cette position, malheureusement, manquait de justification claire et différait des pratiques en Babylonie. Les archives historiques, dont le commentaire du Maharshal sur Baba Kama, soulignent de nombreuses différences de coutumes entre Eretz Israël et Bavel.

Par exemple, le cycle de lecture de la Torah variait, tout comme les pratiques telles que la récitation du Kriyat Shema.

Comme on le voit, la controverse calendaire a des ramifications bien plus profondes que le simple “calcul d’une date”.

La controverse calendaire s’intensifie

Le défi de Rav Ben Meïr face au calendrier établi menaçait l’unité juive, pouvant mener à des dates différentes pour les Yamim Tovim. Il soutenait que puisque Eretz Israël était historiquement le siège de la fixation du calendrier, sa décision devait être acceptée globalement.

Cette affirmation fut rejetée par Rav Saadia Gaon, qui déclara qu’Eretz Israël n’avait jamais détenu de droits exclusifs sur le calendrier. Le Rambam, dans le Sefer HaMitsvot (Aseh 153), penchait d’ailleurs vers la position de Rav Ben Meïr, suggérant que la base du calendrier devait être en Eretz Israël.

Alors que le débat prenait de l’ampleur, Rav Ben Meïr prit des initiatives concrètes, déclarant que Pessa’h commencerait deux jours plus tôt en 4682/922 et envoyant des avis aux communautés d’Égypte et de Babylonie.

Ce geste fut cependant accueilli avec résistance.

La riposte de Rav Saadia Gaon

Rav Saadia, en apprenant les actions de Rav Ben Meïr, s’y opposa fermement.

Il rallia le soutien du Reish Galusa et d’autres Geonim, soulignant la nécessité de suivre la halakha établie. Les lettres de Rav Saadia, notamment à ses élèves d’Égypte, appelaient au respect des calculs calendaires traditionnels et mettaient en garde contre les dangers de la modification des observances sacrées. Il insista sur la sainteté des fêtes juives et sur l’impératif de leur observation unifiée.

Malgré les efforts de Rav Saadia, Rav Ben Meïr demeura inébranlable. Il envoya son fils à Jérusalem pour renforcer sa position, affirmant que les sages d’Eretz Israël détenaient l’autorité sur le calendrier. Rav Saadia réfuta cette affirmation, insistant sur une responsabilité partagée entre les communautés juives.

La perspective du Rambam

Le Rambam, dans ses écrits, proposa une vue nuancée. Bien qu’il reconnaisse l’importance d’Eretz Israël dans la fixation du calendrier, il reconnaissait également les réalités pratiques de la diaspora juive. Cette perspective équilibrée soulignait la complexité de la question et la nécessité d’une approche consensuelle.

Résolution de la controverse

La controverse culmina avec l’arrivée de Pessa’h 4682/922. Les communautés d’Eretz Yisrael, d’Égypte, et une minorité de Babylonie célébrèrent la fête selon le calcul de Rav Ben Meïr.

Cependant, cette divergence ne pouvait perdurer. Pour prévenir de futurs conflits, les Geonim chargèrent Rav Saadia de composer le Sefer HaZikaron (Livre du Souvenir). Ce document, lu chaque année le 20 Eloul, servait de rappel du différend et de mise en garde contre de tels cas.

Dès Roch Hachana 4684/923, la majorité des communautés se réalignèrent sur le calendrier traditionnel.

La reconnaissance de Rav Saadia

En 4688/928, Rav Saadia fut nommé Gaon par le Reish Galusa, David ben Zakai, en partie en reconnaissance de son rôle dans la résolution de cette controverse majeure. Cette nomination rendait hommage non seulement à l’érudition de Rav Saadia, mais marquait aussi un moment de réconciliation et d’unité au sein de la communauté juive.

Héritage et réflexion

La controverse calendaire du Xe siècle témoigne du caractère dynamique de la loi juive et de l’engagement constant pour l’unité communautaire. Elle souligne l’équilibre délicat entre tradition et adaptation, et le rôle crucial des dirigeants pour guider les communautés à travers des défis religieux et sociaux complexes.

On pourrait en sourire en disant que « là où il y a deux Juifs, il y a trois opinions », mais plus sérieusement, il est fascinant de voir comment un sujet en apparence banal peut donner lieu à un débat profond et passionné.

Mais bien sûr, tout cela est pour l’amour d’Hachem, de la Torah, et du peuple juif.

Et c’est ainsi que nous honorons les saints Tsadikim qui y ont participé.

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