Aperçus sur le Beit HaMikdash (Saint Temple) selon l’œuvre célèbre du Ram’hal, Mishkaney Elyon – Partie 1 : Le Beit HaMikdash selon le Ram’hal
Dans les premières lignes de Mishkaney Elyon, le Ram’hal (Rabbi Moshé Haïm Luzzatto) expose avec clarté le but de son ouvrage :
« Mon but dans ce travail est de traiter du sujet du Temple céleste mentionné par nos sages, d’expliquer sa forme et sa structure dans tous leurs détails, et de montrer comment le Beit HaMikdash terrestre est en alignement direct avec lui, tant dans sa structure que dans toutes ses dimensions. »
Le concept d’un Temple céleste (Heikhal shel Ma’alah) est enraciné dans plusieurs sources fondamentales de la littérature rabbinique. Dans le Talmud, on trouve l’énoncé suivant :
« Rabbi Yoḥanan a dit : Le Saint, béni soit-Il, a déclaré : ‘Je n’entrerai pas dans la Jérusalem céleste tant que Je ne serai pas entré dans la Jérusalem terrestre.’ Y a-t-il donc une Jérusalem céleste ? Oui, comme il est écrit (Psaumes 122:3) : ‘Jérusalem est construite comme une ville unifiée en elle-même.’ » (Taanit 5a)
Ce passage talmudique confirme l’existence d’un pendant céleste à la Jérusalem terrestre. Il met en lumière une image spirituelle miroir entre les deux royaumes, image qui doit être activée de manière conjointe.
L’exposé du Zohar
« Le Sanctuaire inférieur dépend du Sanctuaire supérieur, et ce Sanctuaire supérieur, à son tour, dépend d’un autre Sanctuaire encore plus élevé, le plus exalté de tous. Tous sont liés les uns aux autres, et c’est le sens du verset : ‘Et le Sanctuaire était un’ (Exode 26:6) » (Zohar, Pekoudé II, 235a).
Cette déclaration mystique révèle une vérité fondamentale : non seulement il existe un Sanctuaire céleste, mais en réalité, il en existe deux niveaux : un supérieur et un inférieur, tous deux étroitement liés au Sanctuaire terrestre. L’expression « Et le Sanctuaire était un » indique leur unité et leur interdépendance.
Le titre de l’ouvrage du Ram’hal, Mishkeney Elyon (« Demeures du Suprême »), est tiré des Téhilim :
« Il est un fleuve dont les canaux réjouissent la ville de Dieu, le sanctuaire des demeures du Suprême (Mishkeney Elyon) » (Psaumes 46:5).
Ce vers poétique peut également être interprété comme une allusion aux deux Sanctuaires suprêmes mentionnés dans le Zohar, montrant que les Mishkeney Elyon sont des « Sanctuaires d’en haut », une désignation au pluriel qui fait référence à leur architecture céleste, en strates.
D’autres preuves de l’existence d’un Beit HaMikdash céleste structuré apparaissent dans le Midrash. À propos du verset « Le jour où Moché Rabbénou acheva l’érection du Sanctuaire » (Nombres 7:1), le Midrash enseigne :
« Rabbi Shimon dit : Lorsque le Saint, béni soit-Il, ordonna aux enfants d’Israël de construire le Sanctuaire, Il en fit aussi allusion aux Anges Serviteurs pour qu’ils en construisent un dans les hauteurs. Lorsque le Sanctuaire terrestre fut érigé, un Sanctuaire correspondant fut bâti dans le Ciel. C’est le Sanctuaire du ‘jeune homme’, [l’ange] nommé Metatron, où il offre les âmes des justes comme expiation pour Israël durant leur exil. » (Bamidbar Rabba 12:13)
Selon ce Midrash, la construction du Mishkan physique déclencha un acte parallèle dans les sphères célestes. L’ange Metatron veille sur ce Sanctuaire supérieur, où il accomplit des fonctions spirituelles pour le compte d’Israël, surtout durant l’exil, lorsque le Beit HaMikdash matériel n’est plus en place.
Dans Mishkeney Elyon, le Ram’hal ne se contente pas de décrire cette structure céleste : il cherche à en cartographier l’architecture en détail, révélant les correspondances profondes entre les mondes terrestre et supérieur. À travers cette œuvre, il montre que le Beit HaMikdash n’est pas simplement un édifice de pierre et d’or, mais une structure cosmique enracinée dans les sphères spirituelles les plus élevées.
Le Beit HaMikdash suprême
Le Zohar, comme déjà cité, révèle que plus haut encore que le Sanctuaire céleste angélique, se tient une structure plus exaltée, le Sanctuaire suprême. C’est là le véritable sujet de Mishkeney Elyon du Ram’hal.
Il écrit :
« Cette Maison sainte fut créée avant les mondes. Car c’est de cette Maison que toutes les créatures reçoivent leur force et leur subsistance. »
C’est le Saint Temple que le prophète Ye’hezkel (Ézéchiel) a vu dans sa vision. Non pas une simple image symbolique, mais le véritable prototype du futur Troisième Beit HaMikdash, destiné à être construit physiquement dans ce monde.
Structure et vision de Mishkeney Elyon
Le Ram’hal commence son œuvre en exposant la relation entre le Temple céleste suprême et son équivalent terrestre. Le Beit HaMikdash d’en bas n’est pas seulement calqué sur celui d’en haut : il en émane, fonctionnant comme une projection holographique de la structure supérieure.
Il distingue le Premier, le Second et le Troisième Temples, en fournissant pour chacun une explication kabbalistique. Il explique notamment pourquoi Ye’hezkel a eu la vision du Troisième Beit HaMikdash dès l’époque de la destruction du Premier Temple, et pourquoi la Présence Divine (Shekhina) ne résidait pas dans le Second Temple comme elle l’avait fait dans le Premier.
Une visite guidée du Temple céleste
À partir de là, le Ram’hal guide le lecteur à travers une « visite » détaillée du Temple céleste tel qu’il est décrit par le prophète Ye’hezkel. Il analyse chaque composant : le Sanctuaire, les parvis, les portes et les chambres, expliquant comment leurs formes et dimensions précises correspondent à des forces spirituelles spécifiques, à savoir les Sefirot et les Noms divins dans les mondes supérieurs.
Chaque élément architectural du Beit HaMikdash est lié à des réalités spirituelles supérieures. Rien n’est laissé au hasard. Chaque mesure reflète un flux d’énergie divine.
Le sens profond du service du Temple
La seconde partie de Mishkeney Elyon se concentre sur l’ordre du service dans le Beit HaMikdash. Le Ram’hal met particulièrement l’accent sur la signification profonde des korbanot (sacrifices). Il écrit :
« Chaque jour, les mondes inférieurs doivent se rapprocher des mondes supérieurs, afin que les branches soient reliées à leurs racines. Ainsi, les anges se lient à leurs racines, et les âmes aux leurs. C’est l’offrande animale qui rapproche les anges, tandis que l’offrande d’encens rapproche les âmes. »
Ce concept de reconnexion des « branches » (les êtres créés) à leurs « racines » (les sources divines) est essentiel à la fonction spirituelle du Beit HaMikdash. Le service sacrificiel devient un acte cosmique de restauration et d’unification.
Le service quotidien et le flux de subsistance
L’analyse des rituels du Beit HaMikdash par le Ram’hal répond à la promesse formulée dans l’introduction de son ouvrage : révéler comment la subsistance divine se déverse sur toutes les créatures, dans tous les mondes, chaque jour, à travers les canaux appropriés.
Il décrit le Temple comme le mécanisme central par lequel Dieu distribue l’énergie, la subsistance et l’influence à toute la Création, selon un ordre précis et en temps voulu.
La prière comme substitut du Temple
Cette vision éclaire également le sens profond de la prière juive quotidienne. Selon le Ram’hal, les services de prière ne sont pas simplement des commémorations ou des remplacements des offrandes du Temple. Ils accomplissent réellement les mêmes fonctions spirituelles que les sacrifices exécutaient autrefois.
En exil, la prière devient le moyen par lequel le monde maintient son lien avec sa source divine. Par la prière, nous poursuivons l’œuvre sacrée de rattacher les branches à leurs racines.
Les cinq chapitres : un résumé structuré
À la fin du corps principal de Mishkeney Elyon, le Ram’hal offre à ses lecteurs un résumé systématique. Il écrit :
« Je vais maintenant fournir un exposé concis et ordonné de toutes les mesures du Beit HaMikdash et de ses parvis dans tous leurs détails, en cinq chapitres. »
Ces cinq chapitres conclusifs sont rédigés dans un style concis et élégant, rappelant celui de la Michna. Ils présentent un aperçu précis des dimensions et de l’agencement de l’ensemble du complexe du Temple, y compris ses bâtiments, parvis, portes et escaliers, dans un format conçu pour la clarté et la mémorisation.
Les cinq chapitres du Ram’hal suivent de près la structure et le contenu du traité Middot, le récit mishnaïque de l’architecture du Second Temple. Ils rappellent également les Hilchot Beit HaBe’hira du Rambam dans le Mishné Torah, où Maïmonide expose de manière halakhique le plan du Beit HaMikdash.
En concluant Mishkeney Elyon par ce résumé concis, le Ram’hal adopte un modèle que l’on retrouve dans plusieurs de ses autres œuvres : offrir une synthèse accessible pour la révision et l’étude pratique. Ce faisant, il fournit aux étudiants et aux érudits un outil précieux pour intérioriser les enseignements complexes exposés dans le corps principal de l’ouvrage.
Clés du Troisième Temple
Dans Mishkeney Elyon, le Ram’hal fournit des clés essentielles pour comprendre à la fois la structure physique et l’essence spirituelle du futur Troisième Beit HaMikdash.
Le Rambam lui-même reconnaît la difficulté d’interpréter la vision du Temple de Ye’hezkel :
« Bien que l’édifice destiné à être construit dans le futur soit décrit dans Ye’hezkel, cela n’est ni expliqué ni clair. » (Hilchot Beit HaBe’hira 1:4)
En effet, même les sages de la Michna furent confrontés à des contradictions entre les descriptions de Ye’hezkel et la Halakha établie. Le Talmud rapporte :
« Rav Yehouda dit au nom de Rav : Hanania ben Ḥizkiya est assurément à bénir, car s’il n’avait pas existé, le livre de Ye’hezkel aurait été écarté du canon, parce que ses paroles semblent contredire la Torah. Que fit Hanania ? On lui apporta trois cents tonneaux d’huile [pour l’éclairage et sa subsistance], et il monta dans un grenier pour réconcilier toutes les difficultés. » (Shabbat 13b ; voir aussi Menachot 45a)
Malgré les efforts monumentaux de Hanania ben Ḥizkiya, la signification de la vision de Ye’hezkel reste énigmatique pour la plupart, de nombreux passages défiant toute tentative d’interprétation, même à l’aide des commentateurs classiques. Tenter de reconstituer l’agencement et la signification du Beit HaMikdash décrit par Ye’hezkel peut sembler décourageant.
À la lumière de cela, l’éloge talmudique de Hanania peut à juste titre s’appliquer au Ram’hal. Par Mishkeney Elyon, il éclaire la structure, la fonction et le schéma spirituel du Troisième Temple avec la précision et la clarté d’un maître de la Halakha, offrant un niveau de compréhension resté inaccessible pendant des siècles.
Le Temple comme cœur du système spirituel
Depuis l’érection du Mishkan dans le désert, le Beit HaMikdash se tient au centre du système spirituel de la Torah. C’est depuis le Saint des Saints que Moché et tous les prophètes ultérieurs reçurent la prophétie. C’est vers le Sanctuaire de Shilo que Hannah se rendit, y versant son âme dans une prière silencieuse, créant l’archétype de la Tefilah pour toutes les générations.
Des allusions au sens profond du Temple et de son service apparaissent dans les écrits du Zohar, dans les enseignements de l’Arizal, et dans les écrits des sages kabbalistes ultérieurs. Pourtant, nulle part dans la littérature rabbinique l’on ne trouve une présentation aussi systématique et claire de la fonction spirituelle et cosmique du Temple que dans Mishkeney Elyon.
L’œuvre du Ram’hal ne se contente pas d’interpréter la forme extérieure du Beit HaMikdash ; elle en révèle l’essence intérieure. Le Temple, enseigne-t-il, englobe tout le système des Sefirot et l’ensemble des mondes spirituels. Comprendre sa structure équivaut à comprendre la structure même de la Création.
Une œuvre de profondeur spirituelle
Cela dit, Mishkeney Elyon n’est pas une œuvre simple. Elle aborde des thèmes touchant aux plus hautes réalités spirituelles : les secrets du Maaseh Bereshit (Œuvre de la Création) et du Maaseh Merkava (Œuvre du Char céleste). Ce sont des sujets qui exigent révérence, humilité et prière sincère pour recevoir une orientation divine.
Étudier cette œuvre est un voyage spirituel. Le Ram’hal ouvre une porte vers la sagesse cachée du Temple et de son service — non pas seulement pour l’étude intellectuelle, mais comme préparation à la rédemption ultime et à la reconstruction de la Demeure qui durera à jamais.
Préfabriqué du Ciel ou construit par l’homme ?
Une question classique dans la pensée juive concerne la nature du Troisième Beit HaMikdash : descendra-t-il du Ciel entièrement formé, ou devra-t-il être construit physiquement par la main de l’homme ?
Rachi aborde cette question directement :
« Le Temple futur que nous attendons sera révélé et descendra du Ciel tout construit et complet, comme il est dit : ‘Le Sanctuaire, Éternel, que Tes mains ont établi’ » (Exode 15:17).
(Rachi sur Soucca 41a ; voir aussi Rachi sur Roch HaShana 30a et Tosafot sur Chavouot 15b)
À l’inverse, le Rambam considère que le rôle principal du Machiaḥ est de construire lui-même le Beit HaMikdash :
« Le Machiaḥ construira le Temple à sa place. » (Hilchot Melakhim 11:4)
À première vue, ces opinions semblent contradictoires. Mais le Ram’hal résout ce conflit apparent en révélant que les deux sont vraies, chacune exprimant un aspect différent d’un même processus unifié.
Il écrit :
« Dans le temps à venir, non seulement le Beit HaMikdash céleste et le terrestre seront similaires. La Maison d’en haut s’étendra jusqu’à atteindre le monde inférieur. C’est le sens de la parole de nos Sages, selon laquelle le Troisième Temple sera l’œuvre des mains de Dieu.
Car le Temple céleste ne sera pas déraciné de sa place. Il s’étendra vers le bas jusqu’à atteindre ce monde. Autour de lui, une structure physique sera alors bâtie, conforme à la nature de ce monde matériel. Les deux structures seront unies et deviendront une seule, ne se séparant plus jamais.
La gloire de Dieu s’y révélera pleinement, comme il est dit : ‘Et la gloire de l’Éternel sera révélée, et toute chair ensemble la verra’ (Isaïe 40:5). Alors, il y aura une paix et une joie parfaites pour toujours. »
Selon le Ram’hal, le Troisième Temple se manifestera par une fusion du Ciel et de la Terre. Une émanation spirituelle du Beit HaMikdash supérieur descendra dans le monde inférieur, et autour de celle-ci, une structure physique sera construite par les êtres humains. Le résultat sera un Temple unifié, à la fois divin et matériel, entièrement intégré et éternel.
Faire descendre le Temple dans le monde
Par son explication profonde de la vision de Ye’hezkel, le Ram’hal a déjà contribué à « faire descendre » l’idée du Troisième Beit HaMikdash dans ce monde, du moins sur le plan spirituel et intellectuel. Son œuvre nous permet de saisir ce qui restait enveloppé de mystère, ouvrant les portes de la compréhension à tous ceux qui cherchent à saisir le but et la structure du Temple final.
Plus les gens étudient et intègrent profondément la structure et la signification du Beit HaMikdash, plus le monde se rapprochera de sa guérison ultime. Selon la vision du Ram’hal, viendra un jour où l’humanité abandonnera ses cycles incessants de conflit et de destruction, et s’unira pour servir le Dieu unique, dans la paix, la clarté et la joie, dans la Demeure qui ne sera plus jamais détruite.
Puissions-nous mériter de voir sa reconstruction.
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